14 Déficits visuels héréditaires et dépistage Une enquête réalisée il y a quelques années dans les instituts de déficients visuels montrait que dans deux tiers à trois quarts des cas, le déficit visuel relevait de facteurs héréditaires (Feingold et coll., 1976). Les déficits visuels héréditaires du jeune enfant résultent de l’atteinte isoléeou associée des différentes structures oculaires. Les différentes catégories de déficit décrits ici sont présentées dans le tableau 14.I. Tableau 14.I : Déficits visuels héréditaires du jeune enfant Catégories de déficits Maladies Anomalies de taille du globe oculaire Anomalies de la chambre antérieure de l’oeil Cataractes congénitales Rétinoblastome Décollements rétiniens congénitaux Dystrophies rétiniennes Atrophies optiques Troubles de la réfraction Albinismes Anophtalmies Microphtalmies Dystrophies cornéennes Aniridie Glaucomes congénitaux et juvéniles Décollement par dégénérescence kystique de la rétine (rétinoschisis) Décollement rétinien total : maladie de Norrie Amaurose congénitale de Leber Maladie de Stargard Rétinopathies pigmentaires Forme dominante autosomique Forme récessive autosomique Myopie forte de l’enfant Oculo-cutanés Oculaire pur Anomalies de taille du globe oculaire Classification Etymologiquement, le terme « anophtalmie » désigne une absence d’oeil, mais une absence apparente d’oeil ne signifie pas toujours qu’il n’existe pas et l’anophtalmie répond en fait à une définition histologique : absence complète de tout rudiment neuroectodermique. Trois types d’anophtalmie sont habituellement individualisés: • l’anophtalmie primaire, exceptionnelle, résultant de l’absence d’induction de la vésicule optique à la 3e semaine de vie intra-utérine. Elle se dépiste toujours à l’échographie prénatale21 par la mise en évidence d’une hypoplasie majeure du globe oculaire ; • l’anophtalmie secondaire, consécutive à l’absence ou à une malformation du cerveau antérieur. Elle est exceptionnellement viable ; • l’anopthtalmie dégénérative résultant de l’arrêtdedéveloppement d’une vésicule optique normalement induite et s’atrophiant secondairement. C’est en fait le premier stade des microphtalmies et l’examen histologique retrouve des éléments ectodermiques, tandis que l’imagerie par résonnance magnétique visualise un reliquat de canal optique. Les microphtalmies sont beaucoup plus fréquentes que les anophtalmies, qui sont exceptionnelles, puisqu’elles concernent environ une naissance sur 6 500 (Warburg, 1993). Elles désignent un « petit oeil » et sont également de plu- sieurs types : • les microphtalmies avec oeil kystique, qui résultent de la non-invagination de la vésicule optique primitive à la 4e semaine de vie intra-utérine. La taille de l’oeil est variable, allant de l’anophtalmie apparente à un globe de petite taille ; • les microphtalmies colobomateuses, de loin les plus fréquentes, dues à un défaut de fermeture de la fente embryonnaire à la 7e semaine de vie intra- utérine. La taille de l’oeil est variable, allant de l’anophtalmie apparente au simple colobome irien ou choriorétinien sans réduction de taille, visible par échographie prénatale du globe oculaire ; • les microphtalmies non colobomateuses, qui se constituent après fermeture de la fente embryonnaire, soit aprèsla7e semaine de vie intra-utérine. Elles peuvent être pures (simple réduction du globe oculaire dont les éléments ne sont pas malformés), compliquées d’autres anomalies oculaires (dystrophies cornéennes, cataracte, persistance de la membrane pupillaire, du vitré primitif, dysplasie rétinienne...), ou bien encore compliquées d’anomalies viscérales diverses, entrant alors dans le cadre des polymalformations. 21. Le contrôle échographique du développement de l’oeil au cours de la grossesse concerne 202 essentiellement la présence et la taille des globes, la clarté des cristallins et l’aspect du vitré. Déterminisme génétique Il existe de très nombreux modèles animaux de microphtalmie et d’anophtalmie permettant d’identifier les premiers gènes responsables de ces malformations. Tous sont des gènes homéotiques, c’est-à-dire porteurs de séquence d’ADN très conservée (homéobox) et impliqués dans le développement de l’embryon. Ce sont des facteurs de transcription codant pour des protéines du développement oculaire pur ou du développement oculocérébral (exemple du gène PAX6, Freund et coll., 1996 ; Graw, 1996 ; Prasser et van Heyningen, 1998 ; Jean et coll., 1998 ; Wawersik et Mass, 2000). Aucun gène d’anophtalmie humaine n’apu être identifié, compte tenu de la rareté de cette malformation chez l’homme. En revanche, les différents modes de transmission héréditaire ont été décrits pour les microphtalmies chez l’homme (tableau 14.II) : • dominant autosomique, de loin le plus fréquent. Il existe une forte hétérogénéité génétique. Deux régions chromosomiques ont d’ores et déjàété repérées : 11p13 (Othman et coll., 1998) et 15q12-q15 (Morle et coll., 2000) ; • récessif autosomique, plus rare, également hétérogène. Deux régions chromosomiques, 14q32 (Bessant et coll., 1998) et 14q24, avec mutations identifiées de l’homéogène CHX10 (C elegans ceh 10 homeodomain-containing homo- log) (Percin et coll., 2000) ; • récessif liéà l’X, encore plus rare. Il faut penser au syndrome de Lenz associant une microphtalmie asymétrique et une dysmorphie faciale évocatrice, dont le gène responsable est localisé en Xp22.3 (Wittwer et coll., 1996). Tableau 14.II : Atteintes génétiques dans les microphtalmies Mode de transmission Localisation chromosomique Gène Dominant autosomique 11p 15q12-q15 Récessif autosomique 14q32 14q24 Mutations de l’homéogène CHX10 Récessif liéà l’X (syndrome de Lenz) Xp22.3 Anomalies de la chambre antérieure de l’oeil Ces anomalies concernent essentiellement des malformations de la cornéeou de l’iris. Dystrophies cornéennes Elles désignent l’apparition d’opacités cornéennes bilatérales, primitives, congénitales ou tardives, stationnaires ou progressives, qui ne s’accompagnent d’aucun phénomène inflammatoire ou vasculaire. De très nombreuses variantes anatomiques ont été décrites, entraînant une grande confusion. Il fallut 203 attendre que Munier, par ses travaux à Lausanne en 1994, clarifie un peu la situation en mettant en évidence un locus unique sur le chromosome 5q31 pour les dystrophies grillagées et faviculaires (Stone et coll., 1994a). En 1997, les travaux du même groupe aboutirent à l’identification d’un gène unique (BIGH3 pour human transforming growth factor B induced gene)et à la mise en évidence de mutations spécifiques de la kératoépithéline (protéine produite par BIGH3), avec des corrélations génotype-phénotype très fortes (Munier et coll., 1997). Ainsi, l’hypermutabilité des zones codant pour deux acides aminés arginine en position 124 et 555 est à l’origine de la grande majorité des dystrophies liés à BIGH3 : arginine pour cystéine (R124C) ou histidine (R124H) en position 124 dans les dystrophies grillagéeetd’Avellino, respectivement, et arginine pour tryptophane (R555W) en position 555 dans les dystrophies granulaires (c’est-à-dire Groenouw type I) et de « Reis-Bücklers » en rayon de miel (c’est-à-dire Thiel-Behnke), respectivement (Korvatska et coll, 1998 ; Okada et coll., 1998a). Tout récemment, la littérature s’est enrichie de l’identification de nouvelles mutations BIGH3 responsables d’autres entités dystrophiques cornéennes : arginine pour leucine (R124L) en position 124 dans la dystrophie de « Reis- Bücklers » géographique, et proline pour thréonine (P501T) dans la dystrophie grillagée type IIIA. Enfin, les phénotypes correspondant aux mutations R124H et R555W à l’état homozygote viennent également d’être décrits (Yamamoto et coll., 1998 ; Mashima et coll., 1997 ; Okada et coll., 1998b). En élucidant l’étiologie des différentes dystrophies cornéennes, la génétique moléculaire est donc en passe d’en disséquer la physiopathologie et d’en révolutionner le traitement et la prophylaxie. Au-delà des applications en faveur des patients atteints de dystrophies de la cornée, c’est toute la physiologie cornéenne qui va bénéficier de ces découvertes. En attendant, la description des corrélations entre génotype et phénotype fournit une base nosologique solide et une aide au diagnostic, qu’il soit présymptomatique ou non. Aniridie Cette dénomination désigne étymologiquement une absence d’iris, presque toujours incomplète, puisqu’on visualise la présence de vestiges iriens à la gonioscopie. L’aniridie résulterait d’un arrêtdudéveloppement de la cupule optique vers la 11e-12e semaine de vie intra-utérine. Elle s’associe à une hypoplasie de la fovea, expliquant la mauvaise vision des enfants porteurs de cette malformation, et elle se complique de glaucome (dans plus de 50 % des cas) et de cataracte. Elle est la plupart du temps isolée, et se transmet toujours comme un caractère dominant autosomique. En dépit de son hétérogénéité clinique, l’aniridie isolée est une affection homogène sur le plan génétique. Il existe un locus unique sur le chromosome 11p13 (Davis et coll., 1989) et, grâce à l’existence 204 de plusieurs modèles animaux, notamment la drosophile eyeless et la souris small eye,legène PAX6 a été identifié à l’origine de l’aniridie humaine (Hanson et coll., 1993 ; Prosser et coll., 1998). Il s’agit d’un facteur de transcription à homéodomaine, très conservé dans toutes les espèces. De très nombreuses mutations ont été identifiées, autorisant le diagnostic prénatal de l’affection dans les familles à risque. L’aniridie peut être associée à plusieurs malformations pour constituer le syndrome WAGR (Wilms tumor, Aniridia, Genital anomalies, mental Retarda• tion). Il s’agit d’un syndrome dit « de gènes contigus » dûà une microdélétion chromosomique. Sporadique, le syndrome WAGR est affirmé ou infirmé par hybridation chromosomique, en utilisant une sonde fluorescente du gène PAX6. Cette recherche doit être effectuée chez tout nouveau-né porteur d’une aniridie : une délétion de la région PAX6 imposera en effet une surveillance par échographies rénales répétées à la recherche d’un néphroblastome (tumeur de Wilms) (Drechsler et coll., 1994). Glaucomes congénitaux Les glaucomes congénitaux peuvent être primaires ou secondaires, selon l’anomalie du développement oculaire dont ils résultent. Glaucome congénital primaire Celui-ci résulte d’un arrêtdudéveloppement de l’angle iridocornéen à un stade correspondant au 6e mois de la vie intra-utérine, qui s’accompagne d’une persistance, au niveau de l’angle, d’un tissu mésodermique embryonnaire. Le glaucome congénital primaire se transmet comme un caractère récessif autosomique et la consanguinité,fréquente dans les familles où est retrouvée cette malformation peu rare, a depuis longtemps suggéré une forte hétérogénéité génétique. Deux loci ont été récemment identifiés: GLC3A sur le chromosome 2p21 (Sarfarazi et coll., 1995) et GLC3B sur le chromosome 1p36 (Akarsu et coll., 1996). GLC3A code pour la cytochrome oxydase P450 de type 1B1 (CYP1B1). Plusieurs études ont montré que les mutations de ce gène rendaient compte dans deux tiers des cas des glaucomes congénitaux primaires, améliorant grandement le conseil génétique dans les familles à risque et autorisant le diagnostic prénatal de la malformation lorsque les mutations de CYP1B1 ont été identifiées chez un enfant atteint (Bejjani et coll., 1998). Glaucomes secondaires juvéniles Trois stades de gravité sont décrits : embryotoxon postérieur, anomalie d’Axenfeld et anomalie de Rieger. Le syndrome de Rieger est hétérogène sur le plan génétique. Deux loci différents ont été identifiés : RIEG1 sur le chromosome 4q25 correspondant au gène PITX2 codant la solurchin (Héon et coll., 1995 ; Alward et coll., 1998) et RIEG2, en 13q14 (Phillips et coll., 1996), dont le gène est encore inconnu. Un troisième gène (FKLH7) codant une protéine dénommée fork head homolog-like 7 a été identifié plus récemment 205 (Mears et coll., 1998) (tableau 14.III). Les deux gènes identifiés ne couvrent pas l’ensemble des cas, mais pour les patients chez lesquels une mutation a été retrouvée, ces progrès moléculaires améliorent le conseil génétique et autorisent le diagnostic prénatal. Tableau 14.III : Gènes en cause dans les glaucomes congénitaux Type de glaucome Localisation chromosomique Locus Gène Protéine Congénital primaire 2p21 GLC3A 1p36 GLC3B Anomalie de Rieger 4q25 (secondaire juvénile) 6p25 CYP1B1 RIEG1 RIEG2 PITX2 FKLH7 Solurchin Forkhead homolog-like 7 Cataractes congénitales Elles sont fréquentes et extrêmement hétérogènes sur le plan clinique et étiologique. Si les cataractes congénitales génétiquement déterminées sont sans aucun doute majoritaires, il n’en faut pas moins négliger toutes les phénocopies22,qu’elles soient d’origine toxique (intoxication à la warfarine), anoxique (prématurité, souffrance anté-etnéonatale) ou virale (rubéole, toxoplasmose, infection par un cytomégalovirus, varicelle). Lorsqu’elles sont héréditaires, les cataractes congénitales peuvent être isolées, ou associées à d’autres malformations oculaires ou à des anomalies pluriviscérales et entrer ainsi dans le cadre de très nombreux syndromes polymalformatifs. S’agissant des cataractes héréditaires isolées, tous les modes de transmission ont été décrits : le plus fréquemment dominant autosomique, extrêmement hétérogène, plus rarement récessif autosomique ou récessif liéà l’X. Dans ce dernier cas, il faut penser au syndrome de Nance-Horan qui associe une cataracte et des anomalies dentaires, lesquelles peuvent passer inaperçues si on ne les recherche pas de manière systématique. Pourtant, la localisation précise du gène responsable en Xp22 (Toutain et coll., 1997) facilite grande- ment le conseil génétique. Pour toutes les autres formes et notamment pour les cas sporadiques, la mise en évidence de 18 loci différents et l’identification de sept gènes au cours des dernières années (Hejtmancik, 1998) ne peuvent constituer une aide pour le conseil génétique. Toutefois, le diagnostic anténatal des cataractes congénitales isolées n’est pratiquement jamais demandé.Il ne serait d’ailleurs pas justifié en raison des progrèsthérapeutiques considérables effectués dans le traitement précoce de cette malformation. 22. Phénotypes imitant un phénotype d’origine génétique, mais dus à une cause non hérédi- 206 taire. Décollements rétiniens congénitaux Ne seront abordés que le décollement par dégénérescence kystique de la rétine (rétinoschisis) et le décollement rétinien total (maladie de Norrie), en raison des progrèsgénétiques réalisés dans l’étude de ces deux affections au cours des dernières années. Rétinoschisis juvénile liéà l’X L’hérédité du rétinoschisis juvénile est toujours récessive, liée au chromosome X, atteignant seulement les garçons dans la branche maternelle d’une famille. Les femmes conductrices ne souffrent d’aucun trouble visuel et ont générale- ment un fond d’oeil normal. Néanmoins, des lésions rétiniennes périphériques comparables à celles des garçons atteints sont parfois retrouvées. L’expression et la pénétrance de cette affection sont de 100 % pour la maculopathie et variables pour les lésions rétiniennes et vitréennes périphériques. Le gène responsable, RS,a été localisé en Xp22 (Sieving et coll., 1990) et identifié. Il code pour une protéine dont la fonction est à ce jour encore inconnue (Sauer et coll., 1997). Cependant, ces progrès ont permis une amélioration du conseil génétique en permettant la reconnaissance des femmes conductrices et en autorisant (toutefois assez rarement) le diagnostic prénatal de cette affection. Maladie de Norrie Longtemps appelée pseudogliome en raison de la visualisation d’une masse blanche rétrocristallinienne, la maladie de Norrie est une dysplasie rétinienne précoce entraînant fréquemment un décollement rétinien congénital total in utero. Cette dysplasie rétinienne est un signe constant et entraîne dans tous les cas une malvoyance profonde ou une cécité précoce ; elle se trouve, de plus, associée dans un tiers des cas à une surditéévolutive et dans deux tiers des cas à un retard mental. Cette affection est homogène sur le plan génétique, se transmettant, à l’instar du rétinoschisis, comme un caractère récessif liéà l’X. Les femmes conductrices ont un examen ophtalmologique strictement normal. Le gène, localisé de longue date sur la région centromérique du chromosome X, en Xp11.1 (Gal et coll., 1985), est identifié. La protéine NDD a une fonction inconnue (Meindl et coll., 1992), mais le gène de petite taille (deux exons codants) a apporté une aide considérable au conseil génétique (reconnaissance des femmes conductrices) et a permis le diagnostic prénatal de cette affection dans les familles à risque. 207 Dystrophies rétiniennes de l’enfant Ces affections constituent une des grandes causes de malvoyance de l’enfant (au moins 30 % des enfants scolarisés dans les instituts pour déficients visuels) (Feingold et coll., 1976). Les dystrophies rétiniennes représentent une famille disparate de désordres visuels aux multiples tableaux cliniques, aux degrésde sévérité très variables mais évoluant tous inéluctablement, plus ou moins lentement, vers une réduction de l’acuité visuelle. Le déterminisme génétique de ces affections est connu depuis plus d’un siècle. De nombreuses études ont souligné l’hétérogénéité des affections rétiniennes (dans leur symptomatologie, leur évolutivité et leur pronostic) et tous les modes de transmissions ont été décrits. Depuis une trentaine d’années, des classifications cliniques minutieuses ont conduit à la localisation puis l’identification des gènes responsables de ces maladies. Le décryptage de ces lésions génétiques permet progressivement d’identifier les protéines absentes ou altérées et de connaître leur localisation cellulaire fine. Ainsi, le mécanisme réel de survenue de toutes ces affections est de mieux en mieux compris, ce qui ouvre la porte à des protocoles thérapeutiques ciblés et prometteurs. Les affections les plus graves et pour lesquelles des progrès considérables ont été effectués sont décrites ici. Amaurose congénitale de Leber Décrite en 1869 par Leber, l’amaurose congénitale de Leber (ACL) est la forme la plus précoce et la plus grave de toutes les dystrophies rétiniennes héréditaires. C’est une maladie récessive ausotomique qui se distingue facile- ment des autres rétinopathies par son début dès la naissance ou dans les tous premiers mois de vie, et par le tableau clinique d’un nouveau-né ou d’un nourrisson aveugle (Leber, 1869). L’hétérogénéité génétique de l’ACL a été suspectée depuis fort longtemps par l’observation d’enfants indemnes nésde deux parents atteints (tableau 14.IV). En 1995, un premier locus (LCA1) a été localisé sur le bras court du chromo some 17 (17p13.1) (Camuzat et coll., 1995 ; Camuzat et coll., 1996) et, en 1996, les premières mutations causales ont été identifiées dans le gène RetGC1 codant une guanylate cyclase spécifique des photorécepteurs (Perrault et coll., 1996 ; Perrault et coll., 2000). Les mutations sur ce gène rendent compte d’environ 20 % des cas d’ACL (Perrault et coll., 1999a). Le produit du gène RetGC1 permet la conversion de la guanidine triphosphate (GTP) en guani dine monophosphate cyclique (GMPc) dans la rétine, après la phase d’hyper polarisation membranaire liée à la stimulation lumineuse. Les mutations de RetGC1 abolissent la production de GMPc dans les photorécepteurs, interdi sant leur retour à l’état d’obscurité : ceci conduit à une situation équivalente à celle de photorécepteurs exposés constamment à la lumière (Rozet et coll., 208 2001). Tableau 14.IV : Hétérogénéité génétique de l’amaurose congénitale de Leber Année Localisation Locus Gène* Protéine Conséquences chromosomique 1995-1996 17p13.1 LCA1 RetGC1 Guanylate cyclase Atteinte congénitale gravissime des cônes, non évolutive 1997 1p31 LCA2 RPE65 Isomérase ? Atteinte sévère précoce des bâtonnets, évolutive 1999 CRX CRX (protéine à homéodomaine) 2000 17p13.1 AILP1 2001 14q11 RPGRIP1 Retinitis pigmentosa GTPase regulator interacting protein 1 1q31 CRB1 Crumbs homolog 1 CRX : Cone rod homeobox ; AILP1 : Arylhydrocarbon interacting protein like 1 En 1997, un second locus (LCA2) sur le chromosome 1p31 fut proposé après l’identification de mutations dans le gène RPE65 chez deux germains atteints d’ACL (Marlhens et coll., 1997). Ce gène fut également impliqué dans les dystrophies rétiniennes sévères de l’enfance et il rend compte d’environ 7 % des cas d’ACL (Perrault et coll., 1999a). RPE65 est le premier gène spécifique de l’épithélium pigmentaire identifié,etila été récemment suggéré qu’il pourrait coder pour l’isomérase responsable de la conversion de rétinol touttrans en rétinol 11-cis, lequel après oxydation en rétinal 11-cis se liera à l’opsine dans les bâtonnets pour former la rhodopsine. Ces données suggèrent que les mutations du gène RPE65 pourraient entraîner une production altérée de rhodopsine, conduisant à une situation équivalente à celle de photorécepteurs maintenus constamment à l’obscurité (Hamel, 1998). L’implication de deux gènes différents dans le même désordre visuel a incitéà reprendre scrupuleusement l’histoire clinique de tous les patients à la recherche de corrélations génotype-phénotype. Les résultats de cette étude démontrent sans ambiguïté que l’ACL liée à des mutations du gène RetGC1 peut être reliée à une atteinte gravissime des cônes dès la naissance et représente, de ce fait, une cone-rod dystrophy congénitale et non évolutive. À l’inverse, l’ACL liée à des mutations du gène RPE65 peut être considérée comme l’extrémité d’un spectre de maladies répondant à la définition des rétinites pigmentaires graves de la première enfance et représentent, de ce fait, une rod-cone dystro• phy précoce, sévère et évolutive (amélioration puis aggravation). Ces corrélations sont d’une grande importance, d’une part pour anticiper le pronostic devant un nouveau-né aveugle et, d’autre part, pour orienter le génotypage des patients plus âgés (Perrault et coll., 1999b). 209 Un troisième gène responsable de cas d’ACL a été identifié en 1999 : le gène CRX (cone-rod homeobox) (Freund et coll., 1998 ; Swaroop et coll., 1999) code pour une protéine de 299 acides aminéstrès similaire aux protéines à homéodomaines OTX (orthodenticle homeobox)1 et OTX2. CRX est vraisemblable- ment un facteur de transcription spécifique des photorécepteurs jouant un rôle crucial dans leur différenciation. Minoritaire, ce gène rendrait compte de moins de 2 % des cas d’ACL (Perrault et coll., 1999a). En 2000, un quatrième gène, localiséà proximité très étroite de RetGC1 sur le chromosome 17p13.1, a été identifié :legène AIPL1 codant pour l’arylhydrocarbon interacting protein like 1 (Sohocki et coll., 2000a et b). Ce gène rend compte d’environ 7 % des cas d’ACL (Perrault et coll., 1999a). Enfin, deux autres gènes viennent d’être identifiés: RPGRIP1 sur le chromosome 14q11 (6 % des cas environ) (Dryja et coll., 2001 ; Gerber et coll., 2001) et CRB1 sur le chromosome 1q31 (7 % des cas environ) (Lotery et coll., 2001). Ces six gènes couvrent 45 % des cas d’ACL. L’hétérogénéité génétique de l’ACL n’est donc plus à démontrer. Le fait le plus remarquable est que les six gènes identifiés codent pour des protéines impliquées dans des mécanismes physiopathologiques extrêmement différents, ce qui rend nécessaire l’identification des gènes déficients dans cette maladie afin de mieux la comprendre. En outre, un certain nombre de gènes responsables d’ACL semblent également être en cause dans les rétinites pigmentaires moins précoces. L’ACL pourrait alors, dans certains cas, être l’extrémité d’un spectre de gravité des dystrophies rétiniennes, avec en corollaire une porte ouverte sur toutes les thérapeutiques expérimentées pour ces dernières. Il est donc vraisemblable qu’il existera pour cette redoutable cécité néonatale un grand nombre d’abords thérapeutiques dépendant à la fois du mécanisme physiologique incriminé et de la précocité des lésions anatomiques. Ainsi en est-il d’’une expérience de thérapie génique menée tout récemment. Aguirre et coll. (1998) ont identifié l’anomalie génétique à l’origine de la dystrophie rétinienne décrite par Narfstrom en 1989 chez des chiens Briards originaires de Suède : une délétion homozygote de 4 paires de bases dans le gène RPE65 (impliqué dans 7 % des cas d’amaurose congénitale de Leber chez l’homme) conduit à la troncature de la protéine codée. Tout récemment, Acland et coll. (2001) ont utilisé un adénovirus associé (AAV) contenant l’ADN complémentaire du gène RPE65 sauvage afind’évaluer l’efficacité d’une thérapie génique chez les chiens atteints. Ainsi, l’oeil droit de quatre chiens âgés de 4 mois a été traité par injection dans l’espace sous-rétinien d’AAV recombinant. Trois mois seulement aprèsl’injection, un comporte- ment compatible avec une vision de l’oeil droit était noté chez ces animaux, en accord avec l’amélioration significative de la réponse électrorétinographique (ERG) enregistrée pour cet oeil. Aujourd’hui, après neuf mois de traitement, il semble que cette amélioration s’accroisse encore. Ce phénomène pourrait s’expliquer par une intégration lentement progressive de l’adénovirus recom- 210 binant dans la rétine. Bien que prometteurs, ces travaux n’en soulèvent pas moins des interrogations auxquelles il faudra répondre avant que ne puissent être engagés les premiers essais cliniques chez l’homme. L’adénovirus recombinant utilisé dans ces expériences ne permet pas, à l’heure actuelle, de restreindre l’expression de RPE65 aux seules cellules de l’épithélium pigmentaire ; l’injection dans l’espace sous-rétinien conduit à un phénomène de transduction visuelle : quel sera le devenir de ces photorécepteurs à long terme ? Qu’en est-il de la dissémination et de l’expression de l’AAV recombinant dans les fluides et les organes après injection sous-rétinienne ? Comment le système immunitaire répondra-t-il ? II faut également ne pas sous-estimer la possibilité d’une intégration aléatoire de l’AAV recombinant dans le génome, avec risque de survenue d’un processus de carcinogenèse. Néanmoins, en dépit de ces questions importantes à résoudre, cette première expérience réussie de thérapie génique dans un modèle de dystrophie rétinienne suscite un formidable espoir chez les patients et leurs familles. Au surplus, au cours des cinq dernières années, c’est dans le domaine de la prévention que les progrèsgénétiques ont été les plus marquants pour l’ACL, puisque plus d’une dizaine de diagnostics prénatals ont été réalisés, permet- tant, dans plus de trois grossesses sur quatre, la naissance d’un enfant indemne qui, très probablement, n’aurait pas eu lieu sans cette possibilité de dépistage in utero (Porto et coll., 2001). Maladie de Stargardt Cette affection décrite par Stargardt au début du 20e siècle est une dystrophie maculaire pure caractérisée par la survenue brutale entre 7 ans et 12 ans d’une baisse importante de l’acuité visuelle, d’évolution rapide, transformant en quelques mois ces enfants en amblyopes profonds (Stargardt, 1909). C’est la cause la plus fréquente de dégénérescence maculaire de l’enfant. Elle correspond à 10 % environ de l’ensemble des dystrophies rétiniennes (Kaplan et coll., 1990). La maladie de Stargardt est récessive autosomique dans 99 % des cas. De rares cas en dominance ont été rapportés, mais touchent plutôtl’adulte (Stone et coll., 1994 ; Zhang et coll., 1994). À la différence de la majorité des dystrophies rétiniennes, la maladie de Stargardt est homogène sur le plan génétique, mais trèshétérogène sur le plan clinique. Le gène unique responsable a été localisé en 1p22.1 (Kaplan et coll., 1993) et identifié (Allikmets et coll., 1997). Il s’agit du gène ABCR codant pour l’ATP-binding cassette retinal, appartenant à la grande famille des transporteurs ABC. Il a été démontré par de nombreuses études de très fortes corrélations entre le génotype et le phénotype : la nature et la place des mutations dans le gène peuvent rendre compte de la maladie de Stargardt de l’enfant, de la forme plus tardive de l’adulte jeune, de certains cas de rétinopathie pigmentaire ou de dystrophie mixte des cônes et des bâtonnets (Gerber et coll., 1998 ; Rozet et coll., 1998 ; Rozet et coll., 1999). Le gène ABCR est donc un gène majeur 211 dans le fonctionnement rétinien, apportant une compréhension nouvelle de certains désordres visuels héréditaires. La fréquence des sujets hétérozygotes dans la population est de l’ordre de 2 %, expliquant la récurrence de la maladie dans certaines branches collatérales d’une famille à risque (Maugeri et coll., 2000). De nombreux protocoles thérapeutiques sont expérimentés pour les dystrophies rétiniennes reliées au gène ABCR,qu’il s’agisse de thérapie génique et cellulaire ou d’approches pharmacologiques nouvelles. Dystrophie maculaire vitelliforme La dystrophie vitelliforme, ou maladie de Best, est une maculopathie bilatérale congénitale transmissible selon le mode autosomique dominant. Sa pénétrance est importante mais son expressivité variable. Le gène de cette affection (VMD2) est localisé en 11q13. Rétinopathies pigmentaires de l’enfant Différents modes de transmission sont reconnus pour ce groupe de maladies : autosomique dominant (20 % des cas), autosomique récessif (20 % des cas), récessif liéà l’X voire dominant liéà l’X (15 % des cas), et plus exceptionnel lement digénique. Dans toutes les séries de patients, environ 45 % des cas restent sporadiques (Kaplan et coll., 1990). Sur le plan moléculaire, les rétinopathies pigmentaires constituent un modèle d’hétérogénéité molécu laire indiscutable. En effet, à l’heure actuelle, prèsd’une centaine de gènes ont été localisés, dont presque 50 % sont identifiésetrépertoriés dans différentes banques de données (Genatlas ; Online mendelian inheritance in man, Omim ; Retinal information network, Retnet). Les connaissances concernant le déter minisme moléculaire de ces affections sont encore partielles, mais ont indé niablement bénéficié des progrès spectaculaires de la biologie moléculaire. L’hétérogénéité des rétinopathies pigmentaires reflète la complexité du fonc tionnement des cellules photoréceptrices et des cellules de l’épithélium pig mentaires, dont de nombreuses protéines assurent le maintien et la fonction de transduction visuelle. Plusieurs gènes codant pour des protéines de la cascade de la transduction visuelle ou intervenant dans la structure ou le fonctionnement de ce couple cellulaire, ou encore dans le trafic et le transport intracellulaire, sont incriminés dans la physiopathogénie des rétinopathies pigmentaires. Cette complexité génétique et moléculaire complique large- ment les approches thérapeutiques pour ces affections encore dépourvues de tout traitement, et constitue également un obstacle au conseil génétique. Le diagnostic prénatal de ces rétinopathies de l’enfant, qui sont presque toujours des formes graves, ne peut se concevoir que dans les cas où une localisation du gène en cause, ou au mieux une mutation de ce gène, ont été préalablement 212 identifiées. La rétinite pigmentaire peut être transmise sur le mode autosomique dominant (la plus fréquente, d’une considérable hétérogénéité clinique), autosomique récessif ou récessif lié au chromosome X. Cette dernière forme est la plus rare (Hamel et coll., 2000) mais la plus grave : son début est précoce, chez l’enfant dès 4-5 ans. C’est souvent lors d’un examen systématique, dans le cadre d’une enquête familiale, qu’est posé le diagnostic. Les femmes conductrices ont des anomalies du fond d’oeil et de l’ERG (Grover et coll., 2000). Rétinoblastome Le rétinoblastome est une tumeur maligne de la rétine résultant de mutations du gène rétinoblastome (RB1) et survenant principalement chez le jeune enfant (Lohmann et coll., 1997 ; Goodrich et Lee, 1993). Le gène RB1, situé sur la bande q14 du chromosome 13, est un anti-oncogène (Lavanchy et coll., 2001 ; Bojinova et coll., 2001 ; Turleau et de Grouchy, 1987 ; Hogg et coll., 1992). Le rétinoblastome peut être héréditaire ou sporadique. Il apparaît lorsque les deux allèles du gène RB d’une même cellule rétinienne sont altérés. Dans les formes héréditaires (environ 40 % des cas), la mutation du premier allèle est d’origine germinale, elle est présente dès la conception de l’individu et se retrouve dans toutes les cellules de l’organisme, notamment dans celles de la rétine. Cette mutation est transmise par l’un des parents, lui-même porteur (10 % des rétinoblastomes), ou résulte d’un accident lors de la formation des gamètes (mutation germinale de novo, 30 % des rétinoblastomes). La mutation du second allèle est d’origine somatique, elle se produit dans une cellule de la rétine. Les rétinoblastomes héréditaires sont généralement bilatéraux. Dans la plupart des familles avec rétinoblastome, la transmission est de type autosomal dominant, avec une pénétrance presque complète (80 % à 90 % des sujets porteurs de l’allèle muté développent des tumeurs oculaires). En revanche, dans d’autres familles, une proportion de sujets porteurs de la mutation sont sains, ou développent des formes atténuées de la maladie. Plusieurs explications à ce phénomène ont été avancées : toutes les cellules rétiniennes possèderaient un allèle muté, mais la mutation somatique du second allèle pourrait ne pas survenir (dans ce cas, le sujet, sain, pourrait transmettre la maladie) ; plus récemment, Harbour (2001) explique cette pénétrance incomplète (et cette faible expressivité de la maladie) par la survenue de mutations particulières du gène RB, entraînant une réduction quantitative ou qualitative de la protéine cellulaire RB. Dans les rétinoblastomes sporadiques, les deux mutations sont somatiques, donc non transmissibles. Elles se produisent de façon aléatoire dans une même cellule rétinienne. Les rétinoblastomes sporadiques sont toujours unilatéraux. L’interprétation génétique peut être gênée par l’existence de mosaïques dans 213 5 % des cas unilatéraux pour lesquels il existe un risque de 2e tumeur (Sippel et coll., 1998 ; Vogel, 1979). Atrophies optiques Elles désignent soit une atrophie primitive de certains ou de tous les faisceaux du nerf optique, soit une atteinte dégénérative des cellules ganglionnaires de la rétine, soit une névrite optique rétro-bulbaire. Plusieurs formes génétique- ment déterminées sont connues de longue date. L’atrophie optique « de Le- ber », à transmission mitochondriale, est de loin la plus fréquente, mais n’est pas traitée ici car il s’agit d’une maladie de l’adulte. Atrophies optiques dominantes autosomiques Elles débutent imperceptiblement au cours de la première enfance. L’atrophie optique n’amène jamais la cécité, le champ visuel périphérique restant toujours normal. La vision centrale est très variable ; à peine touchée dans certains cas, elle peut dans d’autres cas se réduire à moins de 1/10. Il existe un scotome central, paracentral ou caeco-central, en même temps qu’une dyschromatopsie à axe bleu-jaune (Kjer, 1959 ; Eliott et coll., 1993 ; Smith, 1972 ; Hoyt, 1980 ; Jaeger, 1988 ; Votruba et coll., 1998). Il existe une variabilité clinique des AOD et une hétérogénéité génétique. Deux gènes différents ont déjàété localisés : le premier, OPA1, le plus fréquent, a été localisé en 1994 sur le chromosome 3q28 (Eiberg et coll., 1994) et identifié en 2000 (Delettre et coll., 2000) ; il code pour une protéine dynamin• like intervenant dans le fonctionnement mitochondrial (Pelloquin et coll., 1999). Le second gène, OPA3, est beaucoup plus rare et localisé en 18q12.2 (Kerrison et coll., 1998). Il n’est à ce jour pas identifié. OPA2 est un gène localisé sur le chromosome X (Assink et coll., 1997). Compte tenu de la grande variabilité clinique de l’affection, ces progrèsgénétiques, qui permettent d’établir le statut des sujets à risque dans les familles d’intérêt, ont grandement facilité le conseil génétique et permis la réalisation de quelques diagnostics prénatals dans des familles où la maladie était particulièrement sévère. Atrophies optiques récessives autosomiques En règle générale, elles sont beaucoup plus précoces et beaucoup plus sévères que les formes dominantes, et sont exceptionnellement isolées. En revanche, on connaît de nombreuses formes associées : • à un diabète : syndrome de Wolfram (Fraser et Gunn, 1977 ; Mtanda et coll., 1986) ; • à des troubles neurologiques : syndrome de Behr (Franceschetti, 1966 ; 214 Horoupian et coll., 1979) ; • à des anomalies du développement et des anomalies cutanées : syndrome GAPO (Tipton et Gorlin, 1984 ; Gagliardi et coll., 1984) ; • à une malformation cérébrale : dysplasie septo-optique (Rosenberg et Chutorian, 1967 ; Jensen et coll., 1987) ; • et à de nombreux autres syndromes polymalformatifs. Elle est en général décrite comme extrêmement précoce, débutant avant l’âge de 3 ans. Elle est totale, la papille optique étant décolorée dans toute son étendue et souvent excavée. La vision est la plupart du temps très mauvaise, le champ visuel périphérique étant lui-même touché. Il existe souvent un nystagmus et un trouble majeur de la vision des couleurs. La consanguinité parentale est fréquente pour cette affection, suggérant l’existence d’un ou plusieurs gènes de fréquence rare. De ce point de vue, il existe un certain degré de variabilité clinique d’une famille à l’autre, suggérant une hétérogénéité génétique. En règle générale, elles sont beaucoup plus précoces et beaucoup plus sévères que les formes dominantes. De nombreuses formes associées sont connues. L’atrophie optique récessive autosomique isolée est quant à elle extrêmement rare. À ce jour, aucun gène n’a été identifié, voire seulement localisé. Troubles de la réfraction Seule la myopie forte sera envisagée, en raison de l’intérêtqu’elle commence à susciter sur le plan génétique. La myopie forte isoléedel’enfant est une affection acceptée comme multifactorielle, à l’étiopathogénie discutée, mais dans laquelle s’intriquent assurément des facteurs acquis, peu ou mal compris, et des facteurs de prédisposition génétique. Des régions chromosomiques comprenant ces gènes commencent àêtre individualisées : 18p11 (Young et coll., 1998a) et 12q21 (Young et coll., 1998b) pour des formes dominantes autosomiques, Xq27 pour une myopie récessive liée au chromosome X (Schwartz et coll., 1990). De nombreux syndromes neurologiques associant une myopie forte et d’autres signes associés sont connus et le gène responsable localisé. Ces affections sont présentées sur le tableau 14.V ; tous ces gènes ont étéétudiés et exclus dans les myopies fortes isolées de l’enfant. Albinismes 216 Tableau 14.V : Caractéristiques génétiques des myopies héréditaires Catégories MaladiesLocalisation Gène Références chromosomique Déficits visuels - Dépistage et prise en charge chez le jeune enfant Myopie isolée Myopie associée à d’autres symptômes oculaires Myopie associée à des signes extra-oculaires et généralement à des signes de dysplasie osseuse Dominante autosomique 18p11 ; 12q21 ? Young et coll., 1998a et b Récessive liée à l’X Xq27 ? Schwartz et coll., 1990 Cécité nocturne congénitale stationnaire Xp11 ?Musarella et coll., 1989 ; Bech-Hansen et coll., 1990 ; Strom et coll., 1998 Anomalie du vitré : syndrome de Wagner 5q31 ? Brown et coll., 1995 Syndrome de Stickler 12q13 COL2A1 Winterpacht et coll., 1993 (hétérogène, deux gènes identifiés) 1p21 COL11A1 Richards et coll., 1996 Dysplasie de Kniest Mutations de COL2A1 Winterpatch et coll., 1993 Maladie de Marshall Mutations de COL11A1 Shanske et coll., 1998 Maladie de Kenny-Caffey 22q11 ? Kirk, 1998 COL2A1 : Chaîne alpha 1 du collagène de type 2 ; COL11A1 : Chaîne alpha 1 du collagène de type 11 Albinismes oculocutanés Ils sont caractértisés par un trouble de mélanogenèse liéà l’absence ou l’altération de l’activité de la tyrosinase. Deux grande formes cliniques sont de ce fait individualisables. Forme tyrosinase négative Dans cette forme, aucune activité de la tyrosinase n’est retrouvée dans les mélanocytes. La peau et les cheveux sont trèsdécolorésetl’on note d’un point de vue oculaire : • des iris très clairs, non pigmentés, hypoplasiques ; • une absence de pigmentation du fond d’oeil, qui prend une teinte orangée: les vaisseaux choroïdiens bien visibles et nettement dessinés, transparaissent à travers la rétine ; ces altérations sont plus marquées au niveau du pôle posté- rieur ; • un reflet rouge caractéristique de la pupille, qui s’explique par l’absence de pigments au niveau de l’iris et de la chroroïde : les rayons lumineux pénètrent d’une façon diffuse à travers les membranes oculaires jusqu’à la rétine, où ils sont réfléchis pour ressortir par la pupille vers l’oeil de l’observateur. Cette absence d’écran pigmentaire explique également la forte photophobie (Kin- near et coll., 1985) ; • en outre, il existe souvent un défaut plus grave sous la forme d’une hypopla- sie ou d’une aplasie fovéolaire expliquant la très mauvaise vision ainsi que le nystagmus (Jacobson et coll., 1984). L’affection, récessive autosomique, est homogène sur le plan génétique et est en rapport avec des anomalies du gène OCA1 (oculocutaneous albinism type 1), localisé en 11q13, qui code pour la tyrosinase (Tripathi et coll., 1992). Cette homogénéité génétique permettrait théoriquement le diagnostic prénatal mo- léculaire qui reste toutefois effectué généralement par biopsie cutanéefoetale. Formes tyrosinase positive Ces formes sont moins sévères que la précédente, puisqu’est retrouvé un reliquat d’activité de la tyrosinase. Ces formes d’albinisme sont extrêmement hétérogènes sur le plan clinique, avec un pronostic visuel variable, mais bien meilleur que dans la forme tyrosinase négative (Witkop et coll., 1970 ; Hu et coll., 1980 ; King et coll., 1986 ; King et coll., 1980 ; King et coll., 1985). Deux gènes responsables ont été localisés et identifiés : le premier, OCA2, localisé en 15q11 et appelé gène P code pour la PEDH (pink eye dilute homolog) (Stevens et coll., 1995) ; le second, OCA3, localisé en 9p12, code pour la tyrosinase-related protein 1 (TYRP1) (Boissy et coll., 1996). D’autres gènes devraient encore être identifiés. Il va de soi que cette complexité génétique est un obstacle au diagnostic prénatal qui paraît toutefois difficilement justifiable pour des affections dont le pronostic visuel, certes altéré, est stationnaire. 217 Albinismes oculaires purs Ils désignent une atteinte isoléedel’oeil, avec dépigmentation irienne et rétinienne, sans décoloration de la peau et ni des téguments. Le fond d’oeil est dépigmenté et les vaisseaux choroïdiens parfaitement visibles. S’y associent également une hypoplasie ou une aplasie fovéolaire avec forte réduction visuelle et nystagmus. Ces formes d’albinisme sont également hétérogènes sur le plan génétique. Formes récessives liées au chromosome X Ces formes sont de très loin les plus fréquentes. Deux gènes sont localisés: OA1 en Xp22.3, identifié, codant pour une protéine à fonction inconnue (Bassi et coll., 1995), et OA2 en Xp11.4, probablement identique au gène mis en cause dans une forme de cécité nocturne stationnaire liée à l’X (Alitalo et coll., 1991). Le diagnostic prénatal, bien que réalisable, est très rarement demandé. Formes récessives autosomiques Elles sont très minoritaires et probablement hétérogènes. Un gène, localisé en 6q13-q15, n’est pas encore identifié à ce jour (Rose et coll., 1992). En conclusion, les progrès considérables réalisés au cours des deux dernières décennies en matière d’identification des gènes responsables de malvoyance héréditaire ont donné un regain d’intérêt à de nombreuses pathologies « oubliées ». Les avancées de la génétique ophtalmologique trouvent une première justification dans le fait de mieux comprendre la physiopathologie des maladies héréditaires et d’anticiper ainsi leur traitement. Mais c’est sur- tout dans le domaine de la prévention que les applications médicales de ces progrès ont été les plus marquantes. Il n’est pas nécessaire d’insister sur l’intérêt du diagnostic prénatal qui permet à des couples, éprouvés par la naissance d’un enfant gravement malvoyant, de donner naissance aux enfants sains qu’ils désirent. Le diagnostic prénatal est inséparable de la consultation de génétique, qui associe le clinicien ayant la charge du patient, garantissant l’authenticité et la précision du diagnostic, le généticien clinicien, qui formu- lera un risque de récurrence, aidera la famille à exprimer sa demande et l’accompagnera tout au long du diagnostic prénatal, jusqu’à une éventuelle interruption de la grossesse et, enfin, le généticien moléculaire sur lequel repose le rendu du résultat. Ces consultations de génétique sont une étape indispensable au transfert des progrès fondamentaux et technologiques vers leur application à la prise en charge du patient et de sa famille. source ist.inserm.